Incarnation de l'Ennui

Il banda son bras d’un vieux tissu caché sous sa ceinture puis il sortit de la cabine pour se diriger vers les latrines. Il voulait tuer ce poison qui le détruisait, qui les détruisait tous. Ce poison que le fatiguait, qui endormait sa volonté, leur volonté à tous. Lui savait depuis longtemps comment le faire sortir; La douleur. Et si le moindre étourdissement se faisait sentir, se faire mal encore plus fort, se vider de tout, tout ce qui l’avait fait glisser dans ses veines, dans ses entrailles.
Il posa les yeux sur sa main droite. Deux légères coupures, lésions si discrètes que personne n’y portait attention. Deux petites traces qui décoreraient éternellement le sommet de ses premières phalanges, le frottement de ses dents sur ces deux doigts qu’il s’enfonçait trop souvent au fond de la gorge. Voila d’où venaient ces curieuses coupures. A se détruire ainsi il ne ménageait pas son cœur, mais peu lui importait. C’était même stupide de continuer mais il ne pouvait plus s’en passer. Ce moment de flottement, de sérénité intense, cette sensation de vide où enfin il était maître de son corps.
A cet instant il n’était à personne d’autre qu’à lui-même… Il n’appartenait plus au pensionnat, à ses pierres grises, froides, humides, aux règles qui le régissaient. Son corps était entièrement à lui, à personne d’autre.
Gaël se releva péniblement, passa la tête sous l’eau fraîche et fixa son visage défait dans la glace. Plus besoin de maquillage pour s’enlaidir… Il se trouvait misérable… Les yeux cernés et rouges, les pupilles dilatées, son visage de porcelaine n’était plus que d’un gris à en rivaliser avec les morts…Il se trouvait laid, pitoyable, minable… Il frappa le lavabo de désespoir. Les larmes lui échappèrent, et les gémissements qui les accompagnaient auraient damné tous les anges et Dieu lui-même mais cela faisait bien longtemps qu’il n’y croyait plus…Il s’effondra …

(MJ March)